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Le Jardin de Delphine
13 décembre 2010

XVIème siècle (3)

Entre 1562 et 1598, huit guerres, entrecoupées de massacres et de conjurations, ensanglantent la France. Personne n’échappe à la violence du temps, surtout pas les écrivains, sommés, sous peine d’être poursuivis par l’un ou l’autre camp, de choisir. Certains le feront par conviction : Montluc (1502-1577) du côté catholique, Agrippa d’Aubigné (1552-1630) du côté protestant. D’autres écrivains sont rangés, soit de force, soit par insouciance de leur part, dans tel ou tel camp... C’est surtout la poésie de d’Aubigné qui atteint par sa fougue et sa grandeur une incontestable grandeur.

La naissance d’une poésie baroque

L’épreuve des guerres de religion a modifié profondément la sensibilité. Une nouvelle conception du monde s’affirme, que l’on désigne aujourd’hui du nom de baroque (certains critiques parlent de maniérisme dans le domaine de la littérature). L’homme baroque a perdu toute certitude d’unification des sciences et du savoir : le monde s’est en effet augmenté de l’Amérique, terres et peuples insoupçonnables parfaitement étrangers à la conscience européenne ; Copernic a démontré que l’homme n’était pas au centre de l’univers, contrairement aux affirmations de la Bible. De plus, on croyait avoir atteint avec l’humanisme un haut degré de raffinement et de civilisation ; les quarante années de guerre ont apporté la preuve du contraire... 

En cette fin de siècle, le monde apparaît comme une réalité mouvante, et l’homme comme un être perpétuellement en proie aux masques, pourchassé par la mort. Ainsi trouve-t-on dans le baroque la beauté de ce qui fonde son angoisse : le goût du masque, du déguisement, de l’illusion, des formes mouvantes et des métamorphoses. Montaigne a été influencé par ces images ; D’Aubigné les porte à la perfection par des images violentes et mouvementées.

AGRIPPA D’AUBIGNÉ (1552-1630)14

Personnage insolite par l’ampleur de ses vertus et par la vigueur de ses haines, irréprochable et violent, intransigeant et incorruptible, il ne cessa de combattre pour son idéal politique, tantôt l’arme à la main, tantôt par la plume.

page1_391px_Aubign____Les_TragiquesAprès avoir lu sa grande oeuvre: le poème des Tragiques, épopée des Guerres de Religion, je suis très impressionné par sa splendeur. L’auteur dénonce les souffrances d’un peuple, la responsabilité des rois, des grands et des juges, mais célèbre aussi les martyrs de la Réforme et de ses combats. À travers cet ouvrage véritablement apocalyptique, d’Aubigné annonce le châtiment des coupables sur la terre, et la récompense des Justes dans les cieux, mais lance aussi une accusation grandiose contre Catherine de Médicis ou encore contre le cardinal de Lorraine.

L’antithèse apparaît comme la figure clé de l’œuvre : misères opposées aux fastes, martyrs précédant la récompense... Toute l’ampleur des Tragiques réside dans la tension fondamentale entre l’histoire et le symbole, le réel et l’allégorie, l’horreur quotidienne et la splendeur biblique, mais aussi sur la juxtaposition du récit (réaliste ou historique) de l’allégorie et du surnaturel.

Ainsi, Agrippa d’Aubigné apparaît comme un poète appartenant à la dernière génération du siècle de la Renaissance, celle des guerres, témoins des ébranlements qui renversent les idées héritées, génération dont les réactions ne peuvent plus être celles des poètes de l’âge précédent. Mais surtout, d’Aubigné a été un militant de la cause calviniste, et sa vie, sa poésie, son œuvre, sont déterminées par sa foi. Politique, satirique, lyrique, épique ou burlesque, le poète reste avant tout un homme pathétique, mais aussi prophétique, pour qui le temps terrestre n’est qu’illusion et le monde qu’un théâtre.

 

MONTAIGNE (1533-1592)

montaigneMaître de la sagesse pour les uns et professeur d’idées fausses pour les autres, Montaigne a été défini par Nietzsche en ces mots : "Qu’un tel homme ait écrit, vraiment le plaisir de vivre sur cette terre en a été augmenté...".

Son œuvre principale, Les Essais, est présentée comme une peinture par lui-même des faits divers du monde ; on y trouve ainsi une série de réflexions telles que "Si le chef d’une place assiégée doit sortir pour parlementer", ou de notes sur quelques sujets : "De l’oisiveté", "des menteurs", "de la constance"... Ce livre est déroutant par le fait qu’il n’appartient à aucun genre sinon celui qu’il crée : l’essai. En effet, à travers son livre, on voit non pas l’auteur en train de se décrire, mais en train de se faire : "je n’ai pas plus fait mon livre que mon livre ne m’a fait". 

 

De l'Oysiveté

MONTAIGNE - Essais - Livre I

COMME nous voyons des terres oysives, si elles sont grasses et fertilles, foisonner en cent mille sortes d'herbes sauvages et inutiles, et que pour les tenir en office, il les faut assubjectir et employer à certaines semences, pour nostre service. Et comme nous voyons, que les femmes produisent bien toutes seules, des amas et pieces de chair informes, mais que pour faire une generation bonne et naturelle, il les faut embesongner d'une autre semence : ainsin est-il des esprits, si on ne les occupe à certain subject, qui les bride et contraigne, ils se jettent desreiglez, par-cy par là, dans le vague champ des imaginations.

Sicut aquæ tremulum labris ubi lumen ahenis

Sole repercussum, aut radiantis imagine Lunæ,

Omnia pervolitat latè loca, jamque sub auras

Erigitur, summique ferit laquearia tecti.

Et n'est folie ny réverie, qu'ils ne produisent en cette agitation,

velut ægri somnia, vanæ

Finguntur species.

L'ame qui n'a point de but estably, elle se perd : Car comme on dit, c'est n'estre en aucun lieu, que d'estre par tout.

Quisquis ubique habitat, Maxime, nusquam habitat.

Dernierement que je me retiray chez moy, deliberé autant que je pourroy, ne me mesler d'autre chose, que de passer en repos, et à part, ce peu qui me reste de vie : il me sembloit ne pouvoir faire plus grande faveur à mon esprit, que de le laisser en pleine oysiveté, s'entretenir soy-mesmes, et s'arrester et rasseoir en soy : Ce que j'esperois qu'il peust meshuy faire plus aysément, devenu avec le temps, plus poisant, et plus meur : Mais je trouve,

variam semper dant otia mentem,

qu'au rebours faisant le cheval eschappé, il se donne cent fois plus de carriere à soy-mesmes, qu'il ne prenoit pour autruy : et m'enfante tant de chimeres et monstres fantasques les uns sur les autres, sans ordre, et sans propos, que pour en contempler à mon ayse l'ineptie et l'estrangeté, j'ay commencé de les mettre en rolle : esperant avec le temps, luy en faire honte à luy mesmes.

Après avoir lu ses notes sur l'oisiveté, je me sens pressé par le temps et tout près pour la rentrée. Le résultat que j'acquérirai, la hauteur que j'atteindrai, tous sont les fruits de mes efforts. Donc, il me faut doubler mes effort pour que mon lendemain soit aussi rose que je rêvais. 

Comme il a dit "Toutes les opinions du monde en sont là, que le plaisir est notre but, quoiqu’elles en prennent divers moyens". Personne ne pourra dénier ce principe, et loin d'un bonheur utopique,c’est pour un bonheur accessible que pariait ce sceptique au milieu des tempêtes, pour un bonheur très terrestre, le seul qui malgré sa fragilité ne soit pas une chimère pour l’homme.

 

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